Hommes & Paysages

Les Bouchures ou haies vives

Propos sur les bouchures

par Philippe Mauris, mai 2015

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les bouchures, sans jamais oser le demander.

Dans les paysages de bocages du Bas Berry, on entend par bouchures, les haies vives qui délimitent les champs ou les prés. Ces haies sont composées de diverses essences, avec en priorité le noisetier, l’épine, le charme ou le châtaignier, ce dernier fournissant par ailleurs d’excellents pieux de clôture; le saule et l’aulne sont également utilisés mais dans des endroits plus humides, souvent en bordure de ruisseaux.

Ces haies avaient été plantées par nos ancêtres pour limiter et fermer les parcelles et pour faire paître leurs propres troupeaux. Maitre Emile Girouille, notaire à Nouziers (mort en 1926) et qui traitait les affaires des communes avoisinantes à La Cellette, disait à ses clients que plus une terre était productive, plus elle se trouvait morcelée : en effet lors d’un héritage, chacun en voulait sa part et il n’était pas rare qu’une pièce de deux hectares, voire moins, se trouve encore divisée en trois, avec création de nouvelles haies pour séparer les parcelles.

Les agriculteurs, appelés alors laboureurs, comme en témoignent les actes notariés, exploitaient donc de petites superficies, et la création et l’entretien des bouchures occupaient une grande part de leur temps.

Les pousses tendres des jeunes bouchures étaient traitées les premières années par un mélange malodorant, dissuadant de façon efficace les ruminants ovins ou caprins de venir s’y régaler : nos ancêtres préparaient une ‘potion’ à base de bouse de cochon ou de fèces de chiens et en aspergeaient les jeunes haies à l’aide d’un petit balai de branches fines-le pulvérisateur n’existait pas à l’époque.

La bouchure une fois devenue dense et adulte était l’unique moyen de contenir les animaux, car le fil barbelé n’existait pas non plus.

S’agissant d’une haie vive, c’est-à-dire composée d’arbustes ayant pris racine, elle demandait un entretien spécifique. Il fallait de façon régulière, en nettoyer le pied à l’aide d’un faucheret (petite faux réservée à cet usage), et couper les branches trop envahissantes avec une serpe à grand manche. L’hiver, on grebillait, c’est-à-dire que l’on ramassait les petits morceaux de branches sèches, que l’on mettait en tas.

On ramassait également les feuilles tombées, qui pouvaient servir de litière. On profitait du hâle de mars, un fort vent de nord-est asséchant l’atmosphère, pour mettre le feu aux tas de branches ou feuilles, mais alors gare aux embrasements non contrôlés !

De plus, tous les dix ans environs, on abattait complètement la haie, en réservant toutefois quelques tiges les mieux placées : on pliait ces tiges après les avoir entaillées aux trois quarts pour que la sève puisse encore circuler et faire repartir les pousses perpendiculaires; on renforçait alors la jeune clôture par quelques branches d’épines repoussées, en utilisant un grand fourchat de bois à deux dents. C’était tout un art, réservé à d’habiles ouvriers !

Encore aujourd’hui on dit ‘boucher’ un champ ou un pré, lorsqu’on veut y mettre à pacager des animaux: cela consiste alors à remplacer les piquets qui ont fait leur temps ou à prolonger la haie vive, afin que l’endroit soit le plus hermétique possible et que l’agriculteur puisse s’adonner à ses occupations prioritaires.

Ces bouchures, outre qu’elles donnent leur caractère à notre paysage de bocage, présentent de nombreux avantages : elles coupent le vent, régulent le climat (plus de fraicheur en été, et moins de froid en hiver: l’herbe arrive plus tôt au printemps), retiennent l’eau des précipitations, protègent les sols de l’érosion, et enfin, fournissent l’abri et la nourriture à une multitude d’animaux, favorisant le maintien de la biodiversité.

Elles ont tendance à être remplacées aujourd’hui par des clôtures plus modernes telles que fils barbelés ou clôtures électriques branchées sur piles, batteries ou secteur. Notre territoire a été cependant épargné par les destructions massives des haies lors de remembrements, et l’on peut espérer que la prise
de conscience collective de l’importance du bocage freinera cette évolution.

 Le dernier avantage, et non le moindre, est qu’elles favorisent une certaine intimité. A l’évocation de ces haies protectrices, les visages se font malicieux….