Hommes & Paysages

Fenêtre sur l’agroécologie

En préambule, pourquoi cet article ? L’association DÉCLIC a reçu début septembre, une invitation à participer au séminaire d’agroécologie organisé à Guéret par l’ACEM (Agriculteurs Creusois En Marche).
Une bénévole de DÉCLIC, Marie-Hélène Faverger, a proposé de faire un reportage et elle en a tiré deux articles que nous souhaitions partager avec nos lecteurs.

Il s’agit d’une ouverture sur ce qui se passe chez nous. Selon les spécialistes de ce congrès, les agriculteurs du territoire font déjà de l’agroécologie sans le savoir !

Bonne lecture

Retrouver l'espoir avec l'agroécologie

Par Marie-Hélène Faverger

Un séminaire de haute tenue à Guéret

« Pour moi, les agriculteurs bios, c’était des barbus qui fumaient de temps en temps des pétards… », raconte Jean-Luc Villain, éleveur laitier à Archon dans l’Aisne).

C’était il y a trente ans. Aujourd’hui, Jean-Luc est devenu lui-même agriculteur « bio » et milite pour l’agroécologie. Il est venu témoigner de son expérience lors du séminaire qui s’est tenu à Guéret du 21 au 23 septembre, organisé par Jean-Michel Bortheirie et l’ACEM (cf.les deux encadrés).

Du béton à la pâture, des vaches découvrent le bonheur de vivre

À la tribune : des élus, des acteurs du monde agricole (agriculteurs, officiels, techniciens), des chercheurs universitaires, agronomes, économistes… ainsi que Gilles Clément,qui nous a gratifié d’une de ses conférences aussi poétique que lucide.

Le public mêlait un peu toutes les catégories sociales, tous les styles et tous les âges. La présence des élèves du lycée agricole d’Ahun a été chaleureusement saluée.

A côté de trois conférences de haut niveau, le séminaire a privilégié les échanges (tables rondes, débats), les visites d’exploitations, les témoignages vivants.

Partout la même volonté : non seulement de respecter la nature, mais de travailler avec elle. De favoriser l’expression harmonieuse de ses processus, au lieu de chercher à les diriger, à les contrarier ou à les canaliser.

Bref de cultiver le «génie naturel», selon l’expression de Gilles Clément.

Ne pas opposer les modes d'agriculture entre eux

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’agriculture dite conventionnelle a permis de produire d’une façon extraordinairement intensive, un miracle de la science !

Aujourd’hui, force est de constater que cette agriculture est entrée dans un cercle vicieux : les monocultures, vulnérables, demandent de plus en plus de pesticides.

Laissés à nu, les sols de plus en plus érodés et de moins en moins fertiles réclament toujours plus d’engrais.

Enfin, il y a la pollution croissante de l’environnement, et les risques pour la santé des agriculteurs et des populations.

Il n’était nullement question, au cours de ce séminaire, de faire le procès des agriculteurs qui travaillent en conventionnel.

Le plus souvent, ils ne font que reproduire ce que faisait leur père, ou appliquer des recettes qu’on leur a dictées.

Et puis les lobbies du pétrole et de la chimie veillent au grain, en garantissant au jourle jour la commercialisation de leurs produits grâce à une communication envahissante et des pressions exercées sur les instances de pouvoir.

"Tout part du sol et revient au sol"

Avec l’agroécologie, il s’agit de redonner vie à la terre, à tous les organismes vivants (bactéries, champignons, faune) qui construisent sa fertilité naturelle.
Il suffit de penser au sol forestier et à son humus : tout y pousse et les aléas climatiques ne l’affectent que très peu, c’est l’écosystème idéal. D’où le développement actuel de l’«agroforesterie».

 

Questions au père Jean-Michel Bortheirie

Sans aller aussi loin, de nouvelles techniques consistent à ne jamais laisser la terre nue et à éviter les labours. À la pointe de ces techniques révolutionnaires, neuf éleveurs autour de Boussac expérimentent le semis direct sous couvert : à l’aide d’un semoir spécial, ils sèment leurs céréales sur un lit de légumineuses et de plantes.
fourragères préalablement détruites par des procédés mécaniques.

Ce paillage apporte de la matière organique au sol, renforce son activité biologique (on parle d’«agriculture de conservation»). De plus, il le protège des pluies violentes et limite l’impact des périodes sèches : l’adaptation au réchauffement climatique est aussi un objectif de l’agroécologie.

En plus, cette technique permet une réduction de combustible, de temps de travail et la diminution progressive des traitements.

Les neuf éleveurs Boussaquins sont réunis au sein d’un Groupement d’intérêt écologique et économique (GIEE).

Des agriculteurs creusois en quête d'un avenir

Il existe actuellement 6 GIEE en Creuse, qui travaillent sur les fourrages en élevage bovin allaitant, l’autonomie en azote (légumineuses), la méthanisation collective, la relocalisation des ventes sur le territoire, etc.

On peut aussi participer aux GDA (Groupement de Développement Agricole), animés par des conseillers de la Chambre d’agriculture.

Il existe bien d’autres réseaux, en agriculture biologique, en permaculture, pour tous les goûts et sensibilités !

Dans ces groupes de travail, il s’agit d’être curieux, d’observer, de tirer les leçons des échecs comme des réussites, d’apprendre des autres.

Contrairement à l’Agriculture Biologique (A. B.), qui consiste essentiellement à éviter l’utilisation de produits de synthèse, l’agroécologie n’a pas de cahier des charges : elle est expérimentale et globale, son chantier est immense.

Les éleveurs creusois font déjà de l’agroécologie sans le faire savoir ! s’est réjoui Patrick Salez.

Avec son bocage dominant, la Creuse est un territoire privilégié pour l’agroécologie. Pour l’agroéconomiste Patrick Salez, l’élevage creusois, qui est encore le plus souvent familial, herbager et extensif, est un modèle agroécologique.

A Genouillac le bonheur est dans le pré

On pouvait visiter l’exploitation de Françoise Aimedieu, éleveuse d’ovins à Genouillac.

Elle a obtenu la certification A. B. en 2005, mais sa démarche va plus loin : avec son compagnon, elle a planté de nouvelles haies et des arbres, sources de biodiversité et d’ombrages.

L’autonomie alimentaire est pratiquement assurée grâce à ses pâtures -« engraissées » avec les déjections, au foin récolté et à la culture de légumineuses et de céréales, fournies pendant la lactation.

Au moment de la «mise en lutte», les brebis et les béliers broutent du colza fourrager–véritable friandise qui leur donne du peps ! L’exploitation est également autonome pour les ressources en eau. Récoltée dans des puits, l’eau, potable, alimente la maison, la bergerie et même le chauffage (pompe à chaleur eau/eau).

On pense souvent que l’agroécologie est une tentative de retour en arrière : il n’en est rien ! Elle s’appuie sur les recherches scientifiques les plus récentes et utilise, si nécessaire, les technologies actuelles.

Ainsi les brebis de Françoise « passent » une échographie 3 semaines après la saillie, pour confirmer la gestation et évaluer le nombre d’agneaux à venir.

Et les déjections des agneaux sont analysées régulièrement afin de détecter la présence éventuelle de parasites et de pouvoir les traiter par phytothérapie.

Aller encore plus loin avec la Permaculture ?

Une autre façon de faire de l’agroécologie est de pratiquer la « permaculture », qui se définit comme «une conception de cultures, de lieux de vie,et de systèmes agricoles utilisant les principes de l’écologie et les savoirs traditionnels…»

C’est le cas de Marie Sperring à La Cellette. Dans « le Blé en herbe », elle propose des visites guidées de son jardin-forêt, des hébergements, ses produits, et des formations en permaculture.

Elle parle du bonheur, de la sobriété, du plaisir à travailler de ses mains. Pour commencer à se connecter avec la nature, Maria conseille d’apprendre à connaître les plantes qui nous entourent. Elle est présente chaque année à la boutique éphémère de Noël à La Cellette.

Walter Keirse, producteur de plants à Saint-Dizier-les Domaines, est également permaculteur. Il a fait sensation au séminaire en déclarant fièrement devant les personnalités présentes à la tribune : «j’ai échangé mon tracteur contre une brouette et une grelinette !».

Ses pieds mères proviennent de jardins forêts et les plants qui en résultent sont « durables »: ils sont dotés d’une bonne résistance aux maladies et aux aléas climatiques.

Ils sont vendus grâce à un site internet.

 

Un jardin d'Eden

Mais le plus extraordinaire chez Walter est certainement ses haies fruitières conduites selon les principes de l’agroforesterie : « Chaque strate est cultivée sur toute sa hauteur. »

Pommiers, vignes et framboisiers s’entremêlent, avec à leur pied des aromatiques, des légumes…

Toutes ces plantes vivent ensemble et établissent des symbioses, à la manière des arbres « intelligents ».

C’est un jardin d’Eden