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Au revoir France Profonde… je reviendrai !

Texte extrait du tome 1 du livre Photolescopages

Au revoir la France profonde... Je reviendrai !

Par JAO

Au revoir la France profonde… Je reviendrai ! Même si je suis passée toute la journée pour une conne, je reviendrai. Remarques, ce n’est peut être pas un mal d’avoir été si cruche, si nulle. D’avoir été mal dans mes pompes et, du coup, déstabilisée. Ca m’a sans doute permis de mieux écouter, d’être plus réceptive. Et puis… peut être que si je m’étais sentie sûre de moi, ils ne m’auraient pas traitée ainsi, ils ne m’auraient pas parlé. Ils m’auraient traitée comme une parisienne, ou du moins comme une touriste de passage.

Non ! Ils ne sont pas comme ça. D’ailleurs Pierrette s’est arrêtée spontanément, je n’avais rien demandé. Marrante Pierrette. Et gonflée de faire de l’humour avec quelqu’un dont la voiture est en train de rendre l’âme… : « Vous savez ma p’tite dame, la nationale 145 n’est pas le meilleur endroit pour bronzer. Regardez : Votre voiture a si chaud qu’elle fume de partout… ! ». Un instant je l’ai maudite cette petite bonne femme descendue de son taxi avec un sourire jusqu’aux oreilles. J’ai cru qu’elle se réjouissait de mes problèmes mécaniques et allait me proposer de m’emmener au prix fort dans un lointain garage. Où m’aurait attendu une bande d’escrocs, trop contents de profiter de la situation… Complètement parano la Claire ! Et bête, stupide… Dès mes premiers mots. Sans même la saluer, lui demander où nous étions….

– Là ? Sur le bord d’une route, la RN 145, à Gouzon.
– Gouzon ? C’est quel département ?
– Le 23, La Creuse…
– La Creuse ??!

J’avais dit ça sur un ton d’horreur. Et mes pensées étaient effectivement terribles : La Creuse ! J’aurais dû m’en douter. Cette campagne sans fin… La Creuse, l’archétype du département rural, la caricature de la France profonde. Le trou quoi. Avec rien autour….

Ca ne l’a pas démontée la Pierrette. Toujours avec son grand sourire, sans me demander mon avis, elle a téléphoné à son garagiste de mari. Ah ! Lucien…. Lucien débarquant quelques minutes plus tard d’une antique dépanneuse pompeusement baptisée L’Aigle Noir. Lucien, la barbe aussi épaisse que son accent pied-noir. Lucien maugréant sans cesse, camouflant ainsi un humour pince-sans-rire.
« Allez, montez dans le camion, je vais vous tirer au garage. Enfin, ne prenez pas ça pour une promesse. C’est la voiture que je vais tirer jusqu’au garage. Pour une fois en 40 années de mariage que mon épouse me présente une jolie cliente, je veux pas vous décevoir…. »

Ah ! Le carrefour dont ils m’ont parlé. Prendre direction Genouillac….

Sur le coup je n’ai pas apprécié la plaisanterie limite vulgaire. Même après je ne savais pas si c’était du lard ou du cochon, si il ne s’agissait pas effectivement d’escrocs : Le manque d’eau qui explose le radiateur de la voiture… Plusieurs jours pour se procurer les pièces d’origine… Le ras le bol de ces automobilistes qui veulent que la réparation soit finie avant d’avoir commencé… « Je n’sais pas ferrer un cheval au galop ! ». C’est bien du Lucien ça….

Ce n’est que plus tard que j’ai compris avoir eu de la chance. Après qu’il m’ait dit qu’il avait peut être, dans le champs en face du garage, de l’autre coté de la 145, là où il stocke des carcasses de voitures, un radiateur qui irait. « Ca ne sera pas du neuf ! A peine du 6. Mais avec des 6, on mettrait Paris… à portée de la Creuse ! ». Content de sa plaisanterie, il m’a ensuite proposé d’attendre au calme dans la salle à manger. Et de me reposer. Difficile de se reposer lorsque, toutes les 5 minutes, une sonnerie annonce une voiture qui pénètre sur la piste du garage ou qu’un employé entre dans la pièce déposer l’argent. Ca, ça m’a stupéfaite. Qu’on me laisse, seule, dans la maison, à coté de la caisse… Ils n’ont pas peur dans l’coin !

Bon, à La Châtre, prendre Châteauroux. Jusque là, c’est vrai que c’est simple. Et joli. Un pays aux charmes cachés d’après Pierrette. « Comme ses habitants et ses châtaignes s’était elle empressée d’ajouter. Rudes en apparence mais bons à l’intérieur ». Ah le tableau qu’elle m’a dressé de la Creuse… Pays dépeuplé à cause des migrations de ses maçons qui ont bâti les grandes villes, et à cause de la 1ère guerre mondiale. Peu d’industries, une agriculture moribonde sauf l’élevage, la meilleure viande du monde. Pas de monuments tapageurs mais partout des villages restés authentiques. Une nature magnifique, sauvage et préservée. Et une qualité de vie… Je la crois volontiers si j’en juge par cette drôle de journée. Les copains qui débarquent au garage sans prévenir, les clients – moi en l’occurrence – qu’on garde à déjeuner. Y’a pas grand-chose soi disant. Tu parles, je n’avais jamais mangé tant de cèpes….

Et Lucien qui, pendant tout le repas, ne cesse de se lever pour aller servir l’essence. Lucien remplissant le réservoir et, montrant une gamelle d’eau au pied des pompes, proposant que le chien fasse lui aussi le plein. Puis, après avoir demandé quelle était la race du cabot, reprenant la maîtresse: « Ne dites pas un bâtard Madame, dites un prototype, c’est plus valorisant ». Lucien et ses doigts de fée, capable de réparer vite, avec les moyens du bord, parce que je suis soi disant pressée. Finalement, je serais bien restée plus longtemps… Lucien répétant que c’est le hasard qui m’a conduit là. « Hasard, de l’arabe AI zahr, c’est à dire le sort ». Drôle de bonhomme….

Ah ! Alors là, attention. Avant Châteauroux, suivre les panneaux autoroute… Nous y sommes ! Paris, me revoilà. Adieu la France profonde. Bonjour la France…superficielle !

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Question au père Jean-Michel Bortheirie

Questions au père Jean-Michel Bortheirie

Prêtre à Gouzon, agronome de formation, ancien enseignant en économie et en philosophie au lycée agricole d’Ahun, le père Bortheirie a également œuvré au développement agricole en Afrique. Président de l’ACEM (Agriculteurs Creusois En Marche), une toute jeune association, il y a déjà réuni, grâce à son ouverture vers l’autre et sa ferveur communicative, un réseau d’amis et de collaborateurs impressionnant.

Dans quel but avez-vous organisé ce séminaire d’agroécologie ?

– Face aux difficultés d’orientation de l’agriculture et des agriculteurs, on travaille à coordonner toutes les initiatives qui permettent d’améliorer les revenus des agriculteurs, et le sens de leur vie. Ces orientations reposent sur les potentialités du sol, travaillées dans une agriculture plus durable. Il faut aussi « décloisonner » les acteurs du monde rural.

Ces orientations concernent-elles aussi les consommateurs que nous sommes ?
– L’agroécologie prône aussi de nouveaux modes de commercialisation. Elle va jusqu’au bout de la chaîne, jusqu’à la relation entre agriculteurs et consommateurs.

En fait ces problèmes concernent tout le monde, il s’agit de la gestion de notre maison commune.
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Fenêtre sur l’agroécologie

En préambule, pourquoi cet article ? L’association DÉCLIC a reçu début septembre, une invitation à participer au séminaire d’agroécologie organisé à Guéret par l’ACEM (Agriculteurs Creusois En Marche).
Une bénévole de DÉCLIC, Marie-Hélène Faverger, a proposé de faire un reportage et elle en a tiré deux articles que nous souhaitions partager avec nos lecteurs.

Il s’agit d’une ouverture sur ce qui se passe chez nous. Selon les spécialistes de ce congrès, les agriculteurs du territoire font déjà de l’agroécologie sans le savoir !

Bonne lecture

Retrouver l'espoir avec l'agroécologie

Par Marie-Hélène Faverger

Un séminaire de haute tenue à Guéret

« Pour moi, les agriculteurs bios, c’était des barbus qui fumaient de temps en temps des pétards… », raconte Jean-Luc Villain, éleveur laitier à Archon dans l’Aisne).

C’était il y a trente ans. Aujourd’hui, Jean-Luc est devenu lui-même agriculteur « bio » et milite pour l’agroécologie. Il est venu témoigner de son expérience lors du séminaire qui s’est tenu à Guéret du 21 au 23 septembre, organisé par Jean-Michel Bortheirie et l’ACEM (cf.les deux encadrés).

Du béton à la pâture, des vaches découvrent le bonheur de vivre

À la tribune : des élus, des acteurs du monde agricole (agriculteurs, officiels, techniciens), des chercheurs universitaires, agronomes, économistes… ainsi que Gilles Clément,qui nous a gratifié d’une de ses conférences aussi poétique que lucide.

Le public mêlait un peu toutes les catégories sociales, tous les styles et tous les âges. La présence des élèves du lycée agricole d’Ahun a été chaleureusement saluée.

A côté de trois conférences de haut niveau, le séminaire a privilégié les échanges (tables rondes, débats), les visites d’exploitations, les témoignages vivants.

Partout la même volonté : non seulement de respecter la nature, mais de travailler avec elle. De favoriser l’expression harmonieuse de ses processus, au lieu de chercher à les diriger, à les contrarier ou à les canaliser.

Bref de cultiver le «génie naturel», selon l’expression de Gilles Clément.

Ne pas opposer les modes d'agriculture entre eux

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’agriculture dite conventionnelle a permis de produire d’une façon extraordinairement intensive, un miracle de la science !

Aujourd’hui, force est de constater que cette agriculture est entrée dans un cercle vicieux : les monocultures, vulnérables, demandent de plus en plus de pesticides.

Laissés à nu, les sols de plus en plus érodés et de moins en moins fertiles réclament toujours plus d’engrais.

Enfin, il y a la pollution croissante de l’environnement, et les risques pour la santé des agriculteurs et des populations.

Il n’était nullement question, au cours de ce séminaire, de faire le procès des agriculteurs qui travaillent en conventionnel.

Le plus souvent, ils ne font que reproduire ce que faisait leur père, ou appliquer des recettes qu’on leur a dictées.

Et puis les lobbies du pétrole et de la chimie veillent au grain, en garantissant au jourle jour la commercialisation de leurs produits grâce à une communication envahissante et des pressions exercées sur les instances de pouvoir.

"Tout part du sol et revient au sol"

Avec l’agroécologie, il s’agit de redonner vie à la terre, à tous les organismes vivants (bactéries, champignons, faune) qui construisent sa fertilité naturelle.
Il suffit de penser au sol forestier et à son humus : tout y pousse et les aléas climatiques ne l’affectent que très peu, c’est l’écosystème idéal. D’où le développement actuel de l’«agroforesterie».

 

Questions au père Jean-Michel Bortheirie

Sans aller aussi loin, de nouvelles techniques consistent à ne jamais laisser la terre nue et à éviter les labours. À la pointe de ces techniques révolutionnaires, neuf éleveurs autour de Boussac expérimentent le semis direct sous couvert : à l’aide d’un semoir spécial, ils sèment leurs céréales sur un lit de légumineuses et de plantes.
fourragères préalablement détruites par des procédés mécaniques.

Ce paillage apporte de la matière organique au sol, renforce son activité biologique (on parle d’«agriculture de conservation»). De plus, il le protège des pluies violentes et limite l’impact des périodes sèches : l’adaptation au réchauffement climatique est aussi un objectif de l’agroécologie.

En plus, cette technique permet une réduction de combustible, de temps de travail et la diminution progressive des traitements.

Les neuf éleveurs Boussaquins sont réunis au sein d’un Groupement d’intérêt écologique et économique (GIEE).

Des agriculteurs creusois en quête d'un avenir

Il existe actuellement 6 GIEE en Creuse, qui travaillent sur les fourrages en élevage bovin allaitant, l’autonomie en azote (légumineuses), la méthanisation collective, la relocalisation des ventes sur le territoire, etc.

On peut aussi participer aux GDA (Groupement de Développement Agricole), animés par des conseillers de la Chambre d’agriculture.

Il existe bien d’autres réseaux, en agriculture biologique, en permaculture, pour tous les goûts et sensibilités !

Dans ces groupes de travail, il s’agit d’être curieux, d’observer, de tirer les leçons des échecs comme des réussites, d’apprendre des autres.

Contrairement à l’Agriculture Biologique (A. B.), qui consiste essentiellement à éviter l’utilisation de produits de synthèse, l’agroécologie n’a pas de cahier des charges : elle est expérimentale et globale, son chantier est immense.

Les éleveurs creusois font déjà de l’agroécologie sans le faire savoir ! s’est réjoui Patrick Salez.

Avec son bocage dominant, la Creuse est un territoire privilégié pour l’agroécologie. Pour l’agroéconomiste Patrick Salez, l’élevage creusois, qui est encore le plus souvent familial, herbager et extensif, est un modèle agroécologique.

A Genouillac le bonheur est dans le pré

On pouvait visiter l’exploitation de Françoise Aimedieu, éleveuse d’ovins à Genouillac.

Elle a obtenu la certification A. B. en 2005, mais sa démarche va plus loin : avec son compagnon, elle a planté de nouvelles haies et des arbres, sources de biodiversité et d’ombrages.

L’autonomie alimentaire est pratiquement assurée grâce à ses pâtures -« engraissées » avec les déjections, au foin récolté et à la culture de légumineuses et de céréales, fournies pendant la lactation.

Au moment de la «mise en lutte», les brebis et les béliers broutent du colza fourrager–véritable friandise qui leur donne du peps ! L’exploitation est également autonome pour les ressources en eau. Récoltée dans des puits, l’eau, potable, alimente la maison, la bergerie et même le chauffage (pompe à chaleur eau/eau).

On pense souvent que l’agroécologie est une tentative de retour en arrière : il n’en est rien ! Elle s’appuie sur les recherches scientifiques les plus récentes et utilise, si nécessaire, les technologies actuelles.

Ainsi les brebis de Françoise « passent » une échographie 3 semaines après la saillie, pour confirmer la gestation et évaluer le nombre d’agneaux à venir.

Et les déjections des agneaux sont analysées régulièrement afin de détecter la présence éventuelle de parasites et de pouvoir les traiter par phytothérapie.

Aller encore plus loin avec la Permaculture ?

Une autre façon de faire de l’agroécologie est de pratiquer la « permaculture », qui se définit comme «une conception de cultures, de lieux de vie,et de systèmes agricoles utilisant les principes de l’écologie et les savoirs traditionnels…»

C’est le cas de Marie Sperring à La Cellette. Dans « le Blé en herbe », elle propose des visites guidées de son jardin-forêt, des hébergements, ses produits, et des formations en permaculture.

Elle parle du bonheur, de la sobriété, du plaisir à travailler de ses mains. Pour commencer à se connecter avec la nature, Maria conseille d’apprendre à connaître les plantes qui nous entourent. Elle est présente chaque année à la boutique éphémère de Noël à La Cellette.

Walter Keirse, producteur de plants à Saint-Dizier-les Domaines, est également permaculteur. Il a fait sensation au séminaire en déclarant fièrement devant les personnalités présentes à la tribune : «j’ai échangé mon tracteur contre une brouette et une grelinette !».

Ses pieds mères proviennent de jardins forêts et les plants qui en résultent sont « durables »: ils sont dotés d’une bonne résistance aux maladies et aux aléas climatiques.

Ils sont vendus grâce à un site internet.

 

Un jardin d'Eden

Mais le plus extraordinaire chez Walter est certainement ses haies fruitières conduites selon les principes de l’agroforesterie : « Chaque strate est cultivée sur toute sa hauteur. »

Pommiers, vignes et framboisiers s’entremêlent, avec à leur pied des aromatiques, des légumes…

Toutes ces plantes vivent ensemble et établissent des symbioses, à la manière des arbres « intelligents ».

C’est un jardin d’Eden

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Les Bouchures ou haies vives

Propos sur les bouchures

par Philippe Mauris, mai 2015

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les bouchures, sans jamais oser le demander.

Dans les paysages de bocages du Bas Berry, on entend par bouchures, les haies vives qui délimitent les champs ou les prés. Ces haies sont composées de diverses essences, avec en priorité le noisetier, l’épine, le charme ou le châtaignier, ce dernier fournissant par ailleurs d’excellents pieux de clôture; le saule et l’aulne sont également utilisés mais dans des endroits plus humides, souvent en bordure de ruisseaux.

Ces haies avaient été plantées par nos ancêtres pour limiter et fermer les parcelles et pour faire paître leurs propres troupeaux. Maitre Emile Girouille, notaire à Nouziers (mort en 1926) et qui traitait les affaires des communes avoisinantes à La Cellette, disait à ses clients que plus une terre était productive, plus elle se trouvait morcelée : en effet lors d’un héritage, chacun en voulait sa part et il n’était pas rare qu’une pièce de deux hectares, voire moins, se trouve encore divisée en trois, avec création de nouvelles haies pour séparer les parcelles.

Les agriculteurs, appelés alors laboureurs, comme en témoignent les actes notariés, exploitaient donc de petites superficies, et la création et l’entretien des bouchures occupaient une grande part de leur temps.

Les pousses tendres des jeunes bouchures étaient traitées les premières années par un mélange malodorant, dissuadant de façon efficace les ruminants ovins ou caprins de venir s’y régaler : nos ancêtres préparaient une ‘potion’ à base de bouse de cochon ou de fèces de chiens et en aspergeaient les jeunes haies à l’aide d’un petit balai de branches fines-le pulvérisateur n’existait pas à l’époque.

La bouchure une fois devenue dense et adulte était l’unique moyen de contenir les animaux, car le fil barbelé n’existait pas non plus.

S’agissant d’une haie vive, c’est-à-dire composée d’arbustes ayant pris racine, elle demandait un entretien spécifique. Il fallait de façon régulière, en nettoyer le pied à l’aide d’un faucheret (petite faux réservée à cet usage), et couper les branches trop envahissantes avec une serpe à grand manche. L’hiver, on grebillait, c’est-à-dire que l’on ramassait les petits morceaux de branches sèches, que l’on mettait en tas.

On ramassait également les feuilles tombées, qui pouvaient servir de litière. On profitait du hâle de mars, un fort vent de nord-est asséchant l’atmosphère, pour mettre le feu aux tas de branches ou feuilles, mais alors gare aux embrasements non contrôlés !

De plus, tous les dix ans environs, on abattait complètement la haie, en réservant toutefois quelques tiges les mieux placées : on pliait ces tiges après les avoir entaillées aux trois quarts pour que la sève puisse encore circuler et faire repartir les pousses perpendiculaires; on renforçait alors la jeune clôture par quelques branches d’épines repoussées, en utilisant un grand fourchat de bois à deux dents. C’était tout un art, réservé à d’habiles ouvriers !

Encore aujourd’hui on dit ‘boucher’ un champ ou un pré, lorsqu’on veut y mettre à pacager des animaux: cela consiste alors à remplacer les piquets qui ont fait leur temps ou à prolonger la haie vive, afin que l’endroit soit le plus hermétique possible et que l’agriculteur puisse s’adonner à ses occupations prioritaires.

Ces bouchures, outre qu’elles donnent leur caractère à notre paysage de bocage, présentent de nombreux avantages : elles coupent le vent, régulent le climat (plus de fraicheur en été, et moins de froid en hiver: l’herbe arrive plus tôt au printemps), retiennent l’eau des précipitations, protègent les sols de l’érosion, et enfin, fournissent l’abri et la nourriture à une multitude d’animaux, favorisant le maintien de la biodiversité.

Elles ont tendance à être remplacées aujourd’hui par des clôtures plus modernes telles que fils barbelés ou clôtures électriques branchées sur piles, batteries ou secteur. Notre territoire a été cependant épargné par les destructions massives des haies lors de remembrements, et l’on peut espérer que la prise
de conscience collective de l’importance du bocage freinera cette évolution.

 Le dernier avantage, et non le moindre, est qu’elles favorisent une certaine intimité. A l’évocation de ces haies protectrices, les visages se font malicieux….

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L’histoire de Favori

L'histoire de Favori

Par Nicole Busse

Mon père l’avait acheté jeune poulain chez le boulanger du village.

Quels critères avaient motivé son choix ? Adulte, Favori ne correspondait pas spécialement au standard d’une race quelconque de cheval. Plutôt de petite taille, gris clair, légèrement pommelé, musclé et bien proportionné, mais rien de marquant.

Quoique, en le regardant mieux : une impression de puissance rassemblée et un je ne sais quoi de joyeux et de turbulent dans le regard, des réactions très vives, levant brusquement la tête mais sans brutalité dès qu’on approchait la main pour le caresser, laissant augurer d’un caractère fier et indépendant.

Mon père n’a, je pense, jamais regretté son choix. Le couple qu’il a formé avec Favori pendant plus de 20 ans a souvent amusé et fait bien des admiratifs parmi les agriculteurs du pays !

Je me souviens de ma joie d’enfant, de ma grande fierté quand on venait chercher le petit cheval pour l’atteler devant d’énormes chars de foin, bloqués dans les ornières profondes des chemins. Souvent deux gros et lourds chevaux de trait étaient déjà dans les brancards des carrioles et ne réussissaient pas à faire avancer le chargement.

Mon père installait Favori à la place du cheval de tête, lui parlait doucement, l’encourageait, le cheval dressait les oreilles, écoutant la douce chanson des mots de son maître et docilement il se laissait faire.

Alors commençait une autre façon d’opérer et Favori le savait, il l’attendait :

Mon père, devant l’attelage, prenait son cheval par la bride, le flattait de la main encore une fois et disait « Allez ! Favori p’tit gris !! » et là…. l’homme et le cheval ne faisaient plus qu’un ! Bandant ses muscles, installant solidement ses jambes arrière, Favori démarrait, mon père avançait en même temps que lui, tendus ensemble vers le même but !

Les autres chevaux recevaient eux aussi des ordres de leurs maîtres, souvent ces derniers criaient très fort et mon père qui menait la danse, leur disait « Arrêtez-vous les gars, c’est bon » ! Le char bougeait, à nouveau un « Allez vas-y Favori p’tit gris » plein d’autorité bienveillante, un effort encore et l’énorme masse finissait pas céder et sortir de l’ornière. On dételait notre cheval, il recevait sa caresse attendue, et l’on se demandait qui de mon père ou de son cheval était le plus heureux !

Ce cheval était-il plus fort qu’un autre malgré sa petite taille ? Je ne le pense pas, mais la fusion entre le maître et l’animal était telle, le cœur de Favori si généreux, mon père si doué pour mener les chevaux, qu’ils réussissaient souvent là où d’autres échouaient. Combien de fois l’ai-je vu reculer seul les monstrueuses charrettes pour les rentrer dans les granges en pente, pavées de grosses pierres plates, les 4 fers quasi rassemblés sous lui, poussant de toutes ses forces, jusqu’à faire jaillir des étincelles sous ses sabots, pour remplacer un autre cheval incapable d’y parvenir.

Cette lueur malicieuse dans son regard n’était pas une illusion. Favori était facétieux en diable ! Quand mon père le sortait de son écurie pour l’emmener au champ avec son compère Bijou, un gros cheval percheron noir, Bijou se laissait mener par le licol en tête et Favori gambadait librement derrière en direction du pré, je crois que c’était un jeu entre eux.

Combien de fois l’avons-nous vu, prendre subitement un galop et faire de multiples fois le tour de la cour de la ferme, fonçant sur les personnes réquisitionnées pour les empêcher de se sauver dans la campagne ? Dès qu’il arrivait sur quelqu’un, il stoppait net et repartait en sens inverse sur une ruade !

Nous, les enfants étions au spectacle ! Nous adorions ça ! Mon père criait après lui, pour la forme « Favori ! Viens ci viens ! Je vais t’étriller ! Je vais t’étriller mon gaillard ! » et le cheval riait !!! Favori procédait de la même façon lorsqu’il était au pré et que mon père l’appelait pour le rentrer. Il arrivait au galop du fond du pré, faisait mine de se laisser saisir par le licol et repartait joyeusement sur une ruade.

Mon père mettait des mottes de terre sèche dans sa casquette la remuait en disant « Viens, viens ci viens, j’ai de l’avoine ». Le cheval ne bougeait pas, tournait la tête de l’autre côté et repartait dans ses folles galopades. Il ne rejoignait son maître le plus souvent que quand le gros et placide Bijou, moins futé, croyait lui à l’avoine dans la casquette ! Notre Favori était sujet aux coliques, et il n’était pas rare qu’en pleine nuit, il donne des coups de sabots furieux dans les planches de son box. Mon père se levait alors, calmait son cheval, lui massait les flancs, le faisait marcher pendant des heures dans la cour, tout rentrait le plus souvent dans l’ordre sans le concours d’un vétérinaire…

Favori faisait également un merveilleux trotteur, plein de souplesse, de grâce et de puissance maîtrisée, attelé à la voiture légère qui servait aux déplacements de la famille. Mon père joyeux, chantait ou sifflait en le dirigeant; ma mère, ma sœur et moi, nous serions les unes contre les autres sur la banquette étroite de la voiture, confiantes, heureuses, en harmonie totale avec ce duo maître-cheval !

Un jour, victime inévitable du progrès, mon père a acheté un tracteur, il a vendu Bijou et gardé Favori. Nous étions tous tristes de nous séparer de ce bon gros Bijou. Un maquignon est venu avec son camion le chercher, les trois femmes de la famille pleuraient à chaudes larmes…

Le maquignon est reparti continuer sa tournée. Puis mon père a attelé Favori et nous nous sommes rendus dans un champ pour récolter les pommes de terre. Le cheval paraissait triste et pensif.
Alors que nous étions penchés tristement vers le sol pour ramasser les tubercules, nous avons entendu, venant de la route nationale qui passait à quelques centaines de mètres du champ, un bruit de moteur (à l’époque la circulation n’était pas très dense). Favori est devenu nerveux, mon père s’est précipité vers lui, il avait compris !

Un long hennissement désespéré s’est fait entendre. Favori, de plus en plus nerveux, ne pensait qu’à partir dans cette direction. Mon père s’accrochait à sa bride pour le retenir. Favori a répondu alors à son ami Bijou, par un même hennissement désespéré, en levant la tête. Nous avons vu le camion qui continuait sa route, chargé de nombreux autres chevaux…

Les signaux d’adieu de part et d’autre ont continué, déchirants, nous glaçant le sang ! Favori a échappé à mon père et est parti comme un fou vers la haie, renversant le tombereau chargé de pommes de terre, puis s’est arrêté net, dressant les oreilles, cherchant à distinguer les hennissements de son fidèle compagnon.

Je n’ai pas vu mon père pleurer souvent, mais ce jour-là, courbé sur la crinière de son cheval, il sanglotait…

Favori a terminé tranquillement sa vie dans les prés, près de son maître, diminuant petit à petit en force et puissance, mais jusqu’au bout il a conservé ce caractère libre et joyeux.

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