Hommes & Paysages

Au revoir France Profonde… je reviendrai !

Texte extrait du tome 1 du livre Photolescopages

Au revoir la France profonde... Je reviendrai !

Par JAO

Au revoir la France profonde… Je reviendrai ! Même si je suis passée toute la journée pour une conne, je reviendrai. Remarques, ce n’est peut être pas un mal d’avoir été si cruche, si nulle. D’avoir été mal dans mes pompes et, du coup, déstabilisée. Ca m’a sans doute permis de mieux écouter, d’être plus réceptive. Et puis… peut être que si je m’étais sentie sûre de moi, ils ne m’auraient pas traitée ainsi, ils ne m’auraient pas parlé. Ils m’auraient traitée comme une parisienne, ou du moins comme une touriste de passage.

Non ! Ils ne sont pas comme ça. D’ailleurs Pierrette s’est arrêtée spontanément, je n’avais rien demandé. Marrante Pierrette. Et gonflée de faire de l’humour avec quelqu’un dont la voiture est en train de rendre l’âme… : « Vous savez ma p’tite dame, la nationale 145 n’est pas le meilleur endroit pour bronzer. Regardez : Votre voiture a si chaud qu’elle fume de partout… ! ». Un instant je l’ai maudite cette petite bonne femme descendue de son taxi avec un sourire jusqu’aux oreilles. J’ai cru qu’elle se réjouissait de mes problèmes mécaniques et allait me proposer de m’emmener au prix fort dans un lointain garage. Où m’aurait attendu une bande d’escrocs, trop contents de profiter de la situation… Complètement parano la Claire ! Et bête, stupide… Dès mes premiers mots. Sans même la saluer, lui demander où nous étions….

– Là ? Sur le bord d’une route, la RN 145, à Gouzon.
– Gouzon ? C’est quel département ?
– Le 23, La Creuse…
– La Creuse ??!

J’avais dit ça sur un ton d’horreur. Et mes pensées étaient effectivement terribles : La Creuse ! J’aurais dû m’en douter. Cette campagne sans fin… La Creuse, l’archétype du département rural, la caricature de la France profonde. Le trou quoi. Avec rien autour….

Ca ne l’a pas démontée la Pierrette. Toujours avec son grand sourire, sans me demander mon avis, elle a téléphoné à son garagiste de mari. Ah ! Lucien…. Lucien débarquant quelques minutes plus tard d’une antique dépanneuse pompeusement baptisée L’Aigle Noir. Lucien, la barbe aussi épaisse que son accent pied-noir. Lucien maugréant sans cesse, camouflant ainsi un humour pince-sans-rire.
« Allez, montez dans le camion, je vais vous tirer au garage. Enfin, ne prenez pas ça pour une promesse. C’est la voiture que je vais tirer jusqu’au garage. Pour une fois en 40 années de mariage que mon épouse me présente une jolie cliente, je veux pas vous décevoir…. »

Ah ! Le carrefour dont ils m’ont parlé. Prendre direction Genouillac….

Sur le coup je n’ai pas apprécié la plaisanterie limite vulgaire. Même après je ne savais pas si c’était du lard ou du cochon, si il ne s’agissait pas effectivement d’escrocs : Le manque d’eau qui explose le radiateur de la voiture… Plusieurs jours pour se procurer les pièces d’origine… Le ras le bol de ces automobilistes qui veulent que la réparation soit finie avant d’avoir commencé… « Je n’sais pas ferrer un cheval au galop ! ». C’est bien du Lucien ça….

Ce n’est que plus tard que j’ai compris avoir eu de la chance. Après qu’il m’ait dit qu’il avait peut être, dans le champs en face du garage, de l’autre coté de la 145, là où il stocke des carcasses de voitures, un radiateur qui irait. « Ca ne sera pas du neuf ! A peine du 6. Mais avec des 6, on mettrait Paris… à portée de la Creuse ! ». Content de sa plaisanterie, il m’a ensuite proposé d’attendre au calme dans la salle à manger. Et de me reposer. Difficile de se reposer lorsque, toutes les 5 minutes, une sonnerie annonce une voiture qui pénètre sur la piste du garage ou qu’un employé entre dans la pièce déposer l’argent. Ca, ça m’a stupéfaite. Qu’on me laisse, seule, dans la maison, à coté de la caisse… Ils n’ont pas peur dans l’coin !

Bon, à La Châtre, prendre Châteauroux. Jusque là, c’est vrai que c’est simple. Et joli. Un pays aux charmes cachés d’après Pierrette. « Comme ses habitants et ses châtaignes s’était elle empressée d’ajouter. Rudes en apparence mais bons à l’intérieur ». Ah le tableau qu’elle m’a dressé de la Creuse… Pays dépeuplé à cause des migrations de ses maçons qui ont bâti les grandes villes, et à cause de la 1ère guerre mondiale. Peu d’industries, une agriculture moribonde sauf l’élevage, la meilleure viande du monde. Pas de monuments tapageurs mais partout des villages restés authentiques. Une nature magnifique, sauvage et préservée. Et une qualité de vie… Je la crois volontiers si j’en juge par cette drôle de journée. Les copains qui débarquent au garage sans prévenir, les clients – moi en l’occurrence – qu’on garde à déjeuner. Y’a pas grand-chose soi disant. Tu parles, je n’avais jamais mangé tant de cèpes….

Et Lucien qui, pendant tout le repas, ne cesse de se lever pour aller servir l’essence. Lucien remplissant le réservoir et, montrant une gamelle d’eau au pied des pompes, proposant que le chien fasse lui aussi le plein. Puis, après avoir demandé quelle était la race du cabot, reprenant la maîtresse: « Ne dites pas un bâtard Madame, dites un prototype, c’est plus valorisant ». Lucien et ses doigts de fée, capable de réparer vite, avec les moyens du bord, parce que je suis soi disant pressée. Finalement, je serais bien restée plus longtemps… Lucien répétant que c’est le hasard qui m’a conduit là. « Hasard, de l’arabe AI zahr, c’est à dire le sort ». Drôle de bonhomme….

Ah ! Alors là, attention. Avant Châteauroux, suivre les panneaux autoroute… Nous y sommes ! Paris, me revoilà. Adieu la France profonde. Bonjour la France…superficielle !